L’action en constatation du changement de sexe (1) n’est pas réglée par une disposition expresse du Code civil, mais est une action d’état civil qui ne peut pas être classée avec d’autres démarches juridiques (action dite sui generis).
Le changement de genre d’une personne n’est pas laissé à sa libre disposition, mais doit, au regard du postulat de la sécurité du droit, être constaté dans le cadre d’une procédure judiciaire formelle. Il est principalement basé sur un arrêt du Tribunal fédéral datant de 1993 (ATF 119 Il 264) qui ne traitait pourtant pas du changement de genre à proprement parler.
Dans l’arrêt précité, le Tribunal fédéral avait indiqué que, pour être accepté, le changement de genre devait avoir un caractère « irréversible », sans indiquer ce qu’il entendait par là. Pendant près de 20 ans, les tribunaux cantonaux ont interprété la notion d’irréversibilité comme l’obligation d’une opération de réassignation préalable. En 2011, l’Obergericht du canton de Zürich a tranché — en conformité avec la Convention européenne des droits de l’homme — qu’une telle obligation ne pouvait être imposée sans une base légale formelle. L’Office fédéral de l’état civil, se basant sur ce jugement, a alors émis un avis de droit (malheureusement non contraignant pour les tribunaux), le 1er février 2012, imposant aux Offices cantonaux de ne pas exiger d’opération préalable à l’enregistrement de l’état civil pour les personnes transgenres.
Dès 2012, cet avis a été malgré tout respecté par de nombreux tribunaux de première instance, ou des cours cantonales en appel, dans plusieurs cantons romands (Vaud, Jura, Berne…). Malheureusement, en janvier 2014, la Cour de justice du canton de Genève l’a encore ignoré — tout comme les nombreuses autres décisions cantonales positives — dans un jugement en appel rejetant le recours d’une femme trans* pourtant parfaitement intégrée, mais pas encore opérée.
Depuis 2015, à notre connaissance 3 personnes au moins (1 FtM et 2 MtF) ont obtenu leur changement d’état civil complet sans l’exigence d’opération préalable à Genève. La procédure que nous décrivons se base sur deux de ces expériences ainsi que les derniers développements juridiques connus.
Le département fédéral de justice et police avait annoncé la mise en consultation d’une procédure simplifiée dans la seconde moitié de 2017, maintenant reportée au premier semestre 2018. Sa mise en œuvre prendra ensuite de nombreux mois. L’Association 360 participera à cette consultation et vous tiendra informé.e.s.
Procédure
Selon le Tribunal fédéral, le for juridique de la demande est le lieu de domicile du demandeur/de la demanderesse. S’agissant de « justice gracieuse », il n’est pas impératif que la demande soit adressée par un avocat ou un juriste. Cependant il faut quand même de bonnes connaissances juridiques pour constituer seul.e son dossier. Le service juridique de l’Association 360 peut vous aider pour un coût modique.
À Genève, la demande doit être adressée à :
Tribunal de première instance
Place du Bourg-de-Four 1
Bâtiment A
Case postale 3736
1211 Genève 3
Dans le canton de Vaud, ce sont les tribunaux d’arrondissement qui sont compétents. Il en va de même pour les cantons de Fribourg, Neuchâtel, Valais et Berne où les tribunaux de première instance sont parfois appelés tribunaux régionaux. Le canton du Jura connaît la même organisation judiciaire que Genève, à savoir un seul tribunal de première instance.
Pour les Suisses de l’étranger, la requête doit être déposée auprès du tribunal d’arrondissement compétent pour la commune d’origine. L’office fédéral de l’état civil peut vous aider dans vos démarches.
Avant de traiter la demande, une avance de frais sera perçue par le tribunal. À Genève, elle se monte actuellement à CHF 300.-.
Formellement, la demande est constituée de deux parties. La « Requête en changement de sexe avec changement de prénom » et le «Chargé de pièces».
Requête en changement de sexe avec changement de prénom
La requête est le document qui démontre l’irréversibilité du changement demandé, irréversibilité qu’il est possible d’atteindre par d’autres moyens que l’opération de réassignation ou la stérilité, ces deux dernières conditions violant les art. 8 CEDH, et 10 et 13 Cst. féd. garantissant le respect à la vie privée, notamment à l’intégrité physique, et à la capacité à se reproduire.
La partie «En faits» de la requête doit donc établir l’acceptation sociale et la crédibilité du choix de vie de la personne qui demande le changement d’état civil. Ces faits doivent être suffisamment convaincants pour être considérés comme irréversibles par le juge. Pour l’instant encore, l’existence d’une dysphorie de genre doit également être attestée par un médecin psychiatre.
La partie «En droit» de la requête démontre que la demande est juridiquement valable au vu du droit et de la jurisprudence suisses récents et conclu à l’acceptation du changement d’état civil et de prénom par le tribunal de céans.
Chargé de pièces
Le chargé de pièces réunit les pièces à annexer à la requête, soit les pièces formelles exigées, la ou les attestations médicales et tout autre document attestant de l’irréversibilité du parcours de vie (lettre de l’employeur, de la famille, de proches…).
Les pièces formelles obligatoires à fournir sont :
- Certificat de naissance
- Acte d’origine
- Attestation de domicile
- Jugement de divorce (si pertinent)
Attestation(s) médicale(s)
Comme indiqué précédemment, il faut au minimum fournir une attestation d’un médecin psychiatre suisse établissant l’existence de la dysphorie de genre chez la personne requérante. Cette attestation est d’ailleurs également nécessaire pour la prise en charge des traitements par l’assurance obligatoire de soins.
Si la personne a déjà commencé des traitements afin de vivre mieux dans son genre ressenti, tels qu’hormonothérapie, épilation définitive, greffe de cheveux, voire chirurgies, il est préférable de fournir les documents attestant de ces traitements, même si ces derniers ne sont plus obligatoires au vu des derniers développements de la jurisprudence, notamment européenne (CEDH, A. P. , Garçon et Nicot c. France, n° 79885/12, 52471/13 et 52596/13 du 6 avril 2017).
Autre(s) document(s)
Les documents attestant de l’expérience de vie dans le genre ressenti ont maintenant une grande importance puisqu’ils aident à prouver que la démarche est bien socialement irréversible. Une lettre de l’employeur, ou de l’institut de formation si la personne est encore aux études, des lettres de la famille (parents, conjoints, frères et sœurs) ou de proches, indiquant que la personne est bien acceptée, sont autant d’éléments que le juge prendra en considération pour se faire une opinion sur le caractère permanent de la démarche.
Audition
Le tribunal n’a pas l’obligation d’entendre la personne requérante, et peut rendre sa décision sur la base de l’ensemble des pièces remises seulement. À Genève toutefois, en 2015 et 2016 au moins, le juge a procédé à une audition des personnes requérantes pour évaluer la crédibilité de leur démarche. Ces personnes ont été convoquées dans le mois suivant le dépôt de la demande et le paiement de l’avance de frais.
Décision
Le tribunal se prononcera dans un délai d’environ un mois (à Genève) par voie d’ordonnance. Si sa décision est positive, le tribunal :
- constate le changement de statut personnel (changement de sexe) et le changement de prénom
- ordonne la rectification du registre de l’état civil conformément à sa décision
- fixe les frais, en général par compensation avec l’avance demandée au départ.
Le tribunal s’adresse à l’office cantonal de l’état civil (ou de l’arrondissement dans les cantons organisés comme cela) dans un délai de 3 à 6 semaines après le délai légal de recours de 10 jours. La personne requérante n’est pas notifiée par l’état civil, elle doit s’informer par elle-même. Dès que l’office a confirmé la réception de la décision du tribunal, les principales autres démarches peuvent commencer.
Suivi
Après la décision et sa transmission à l’état civil, un certain nombre de démarches doivent être faites afin de régulariser la situation. Les principales sont :
- établissement de nouveaux papiers d’identité (en priorité car les autres démarches impliquent le plus souvent la remise d’une copie du passeport ou de la carte d’identité). Cette démarche se fait comme pour le renouvellement d’un passeport ou d’une carte d’identité via internet avec la remise de la copie du jugement
- changement auprès de l’employeur (genre et prénom, adresse courriel, registre du commerce…)
- changement du permis de conduire et du permis de circulation (si pertinent)
- avenant au contrat de bail et éventuellement changement des étiquettes de boite aux lettres et de porte
- changement à la poste
- changement à la banque et changement des cartes (EC, carte de crédit, etc.)
- carte AVS, information à la caisse de pension (souvent pris en charge par l’employeur)
- nouvel acte d’origine si nécessaire
- etc.
Toutes ces démarches ont souvent un coût qui peut atteindre plusieurs centaines de francs.
Les personnes de nationalité étrangère, mais résidant en Suisse, doivent s’adresser à leur ambassade, respectivement leur consulat, pour obtenir les informations nécessaires à leur démarche.
Lynn
(1) Bien qu’il soit plus respectueux – et plus juste – de parler de changement de genre, le droit suisse continue d’utiliser pour l’instant la notion de changement de sexe. Par respect pour les personnes transgenres, nous utilisons la notion de changement de genre.
(État au 3 décembre 2017/màj 1er mai 2018)