«Je n’étais pas malheureuse en tant qu’homme, mais je me sens beaucoup mieux en femme. J’ai réalisé que j’ai
passé toute ma vie à faire le clown, à me montrer hypermasculin uniquement pour masquer ma féminité», explique Raphaëlle Guglielmetti. Cette quadragénaire, sergente-major à la police de Nyon, est la première de Suisse à faire sa transition de genre en étant en exercice. «Certaines personnes ne comprennent pas que je puisse changer de genre à mon âge, comme si j’avais le choix. En réalité, le seul que j’aie vraiment eu est celui de m’accepter telle que je suis! J’espère que mon coming out trans va servir la cause de la communauté LGBTQI+. Dans mon métier, composé majoritairement d’hommes, il y a encore beaucoup de personnes qui n’osent même pas dévoiler leur homosexualité.» Blouse bleue, jean slim, maquillage et bijoux discrets, la quadragénaire nous reçoit dans son lumineux appartement situé près de l’entrée de l’autoroute nyonnaise. Salon de coiffure, cafés bobos et places de jeux se trouvent au pied de son immeuble. Elle partage désormais sa vie avec Maël, un créateur de site web avec qui elle a eu un vrai coup de foudre. Raphaëlle Guglielmetti vit sereinement sa transition bien que celle-ci ne se soit pas présentée à elle comme une évidence. «Je n’ai
pas vécu la souffrance de la majorité des personnes trans qui comprennent très tôt dans leur vie que
leur genre physiologique ne correspond pas à ce qu’elles ressentent. Je me suis mariée, j’ai divorcé puis j’ai eu une relation de sept ans avec une femme que j’aime encore profondément. Nous vivions en union libre et
j’avais régulièrement des relations avec des hommes. À cette époque, je me croyais bisexuelle.» Déclic sur scène Puis, en 2016, l’habitante de Nyon – qui fait du théâtre dans une troupe amateur – a interprété un
personnage qui se transformait en femme. Ça a été le début de son cheminement intérieur. Elle s’est rendu compte qu’elle se sentait plus à l’aise en jean slim et en talons qu’en pantalon large et souliers plats. Elle réalise qu’elle a emmuré sa féminité pendant des décennies. «En 2018, j’ai commencé à sortir le soir, puis la journée habillée en femme. Je voulais voir où étaient mes limites. J’ai acheté des prothèses mammaires, des sous vêtements féminins, des jupes et des perruques. J’ai pris un cours de maquillage. À ce moment-là, je me définissais comme gender fluid (ndlr: une personne dont le genre varie, qui ne se définit pas selon un genre en particulier). J’en ai parlé ouvertement au travail. Je ne voulais pas risquer de me faire contrôler au volant, habillée en femme, par un collègue et que cela crée un malaise. Cela n’avait en revanche aucune influence sur mon travail, car je continuais à exercer en tant qu’homme.» Les parents en soutien À la fin de l’année 2018, elle passe la plupart de son temps libre vêtue comme une femme. Sa relation amoureuse de l’époque n’y résiste pas. «Mon côté féminin avait pris le dessus et ma compagne ne l’a pas supporté.» Pour Raphaëlle Guglielmetti, c’est là le seul effet négatif de son coming out trans. La quadragénaire admet avoir eu beaucoup de chance:
famille, amis et la plupart de ses collègues ont réagi positivement à son nouveau statut. «Mon père était un peu sur la retenue, car il s’inquiétait pour moi et ne comprenait pas l’entier de la situation. Il a lu tout ce qu’il trouvait sur la cause trans. Aujourd’hui, il est heureux pour moi et me soutient totalement. Quant à ma mère, elle m’a surprise. Quelques jours après lui avoir parlé de ma transition, elle m’a envoyé un message qui se terminait par «bisous ma fille». J’étais épatée qu’elle fasse aussi vite le changement. Ma mère est un modèle d’optimisme et elle m’inspire énormément.» Depuis l’été 2019, la quadragénaire prend des patchs d’œstrogènes et sa silhouette commence à changer. Elle a récemment commencé des séances d’épilation définitive du visage, ce qui va lui permettre de ne plus s’astreindre à trois rasages par jour. Elle ne force pas sur le maquillage, elle applique un léger fond de teint et un peu de rouge à lèvres. Elle ne cherche pas à montrer autre chose que ce qu’elle est: une
femme amoureuse qui vit sa transition comme une période d’adolescence. «Depuis que je suis une femme, je suis bien plus discrète qu’avant. Je ne ressens plus le besoin de faire le clown.» Tout en patience Officiellement femme depuis le 14 février, après un jugement du tribunal, elle commence petit à petit à féminiser son look au travail. Vernis à ongles et boucles d’oreilles viennent compléter son uniforme unisexe. «Je sais que certains collègues ont fait des plaisanteries déplacées dans mon dos, mais je ne me formalise pas. Cela prendra encore un peu de temps avant que tout le monde soit en mesure de me genrer correctement.» Petit avantage pour
elle, le prénom qu’elle a reçu à sa naissance se prononce à l’identique quel que soit le genre auquel il s’applique.
La quadragénaire l’admet: «Je vis encore entre deux mondes. D’ici à deux ans, mon corps devrait davantage correspondre à mon ressenti et je vais travailler ma voix pour la féminiser.» Et de conclure: «La plus grande force des personnes trans est sans aucun doute la patience.»
La police de Nyon soutient la diversité
Le major Olivier Rochat, commandant de la Police Nyon Région, a été surpris lorsque Raphaëlle Guglielmetti est venue lui annoncer son désir de changer de sexe, mais ne s’est pas démonté: «La police se doit d’être le reflet de la société. Elle doit évoluer avec elle. Dans les effectifs de police, il y a des gens de couleur, des personnes tatouées, des homosexuels, entre autres. Accueillir une personne trans n’est pas un problème. Nous devons faire preuve de bienveillance et de respect envers la population tout comme envers nos collaborateurs.»
Après avoir averti son commandant, Raphaëlle Guglielmetti a eu l’autorisation d’annoncer sa décision aux cadres et aux différentes brigades. «Elle est cheffe d’une brigade de huit personnes en tout. Je me suis assuré que les éléments de sa brigade soient à l’aise avec la nouvelle identité de leur cheffe afin qu’aucun malaise ne vienne perturber le travail. Pour cela, il a fallu déplacer quelques personnes.» Bien que le corps de police nyonnais ait fait preuve d’ouverture d’esprit, certains aménagements ont été indispensables. «Raphaëlle Guglielmetti ne souhaitait plus se changer dans le vestiaire des hommes et ne voulait pas d’un vestiaire
personnel. Certaines collaboratrices se sentent gênées de se changer devant elle. Nous avons alors proposé un compromis. Un écriteau «occupé» permet désormais aux collaboratrices de savoir que Mme Guglielmetti est dans le vestiaire. Libres à elles d’entrer ou d’attendre. Enfin, la porte de la douche sera prochainement munie d’une serrure afin de garantir l’intimité de chacune. Je reste convaincu que d’ici quelques mois, ces petites réticences vont disparaître.» L’uniforme actuel étant unisexe, aucun changement n’a été nécessaire si ce n’est celui du gilet pare-balles. Les cartes de visite ont été changées et Raphaëlle Guglielmetti exerce son métier en tant que femme depuis qu’elle est officiellement reconnue comme telle, soit depuis le 14 février dernier. «Le changement de genre de Mme Guglielmetti n’affecte évidemment en rien ses compétences professionnelles. Je ne suis pas inquiet quant à la suite de sa carrière. La seule chose qu’elle a, par elle-même, décidé de ne
plus faire, ce sont les fouilles au corps», conclut le major Rochat.